L’équipe de la Fabrique des Mobilités Québec continue la série d’entrevues dans le but de prendre conscience du parcours de la donnée, sa valeur, et de comprendre comment elle est utilisée à différentes fins.

 

À cette occasion, nous avons contacté Philippe Fortin, conseiller en innovation et données ouvertes à la Ville de Montréal, pour en savoir plus sur comment les données relatives à la bordure sont traitées et exploitées depuis la mairie.

Fabrique des Mobilités Québec, grâce au financement de Montréal en Commun, le volet de villes intelligentes piloté par le Laboratoire d’innovation urbaine de Montréal (LIUM), soutient des expérimentations de mobilité durable pour ouvrir de nouveaux horizons pour la bordure de rue.

Déconstruire des habitudes

 

Équipe Fabmob: D’après vous, quels sont les grands enjeux et défis en lien avec la bordure de rue à Montréal?

 

Philippe: Je dirais que le principal enjeu qui est très souvent nommé en fait, c’est l’espace qui est restreint, un espace public limité. On a déjà du bâti existant et le plus gros enjeu qu’on a actuellement en fait, c’est la perception du public. Il s’agit de déconstruire les habitudes de nos citoyens pour s’assurer que l’espace disponible, on arrive à trouver la meilleure utilisation qui pourrait en être faite. Des exemples qu’on a en général, c’est: est-ce qu’on veut oui ou non laisser des espaces de stationnement en bordure de rue? 

 

Ensuite, de mon expertise aussi, c’est tout ce qui est la question de la donnée. Pour être en mesure de faire des choix ou de comprendre ce qui se passe, il faut qu’on aie les données, les observations qui nous permettent d’expliquer des phénomènes de mobilité, voir comment l’espace est utilisé, et c’est un enjeu actuellement, parce que ces données soient sont incomplètes, en nombre limitées ou inexistantes, qui ne permettent pas nécessairement d’avoir un portrait général de toute l’utilisation qui est faite de l’espace public, notamment de la bordure de rue.

 

Donnée pure, gouvernance et collecte

 

Équipe Fabmob: On s’intéressait justement au parcours que la donnée va faire pour arriver à cette étape-là. Donc vous parliez de collecte, de connexions entre différentes sources de données. Pouvez-vous nous expliquer le parcours de ces données à la Ville, idéalement en lien avec la bordure de rue?

 

Philippe: En général, on essaie d’apporter le moins de changements possibles dans les données qu’on rend disponibles. Le but est de ne pas créer d’effort supplémentaire. Ceci dit, il y a quand même un niveau de détail dans nos données qui n’est pas nécessairement pertinent. Donc on essaie de penser en amont à l’utilisation qui va être faite de l’autre côté par l’utilisateur, et de trouver le juste équilibre qui nous permet de dire qu’effectivement on n’est pas en train de trop manipuler la donnée afin que des gens puissent en faire ce qu’ils en veulent.

 

Ceci dit, en termes de gouvernance, il y a quand même plusieurs étapes qu’on doit suivre pour être en mesure de rendre la donnée disponible. Il y a plusieurs cas de figure. Certaines données, souvent les moins sensibles, vont être sur des systèmes informatisés avec une interface à partir de laquelle on peut facilement les extraire. D’autres jeux de données ne sont pas sur des systèmes automatisés et doivent être ouverts de façon manuelle. Ce que nous souhaitons, évidemment, c’est que la majorité de nos données soient sur des systèmes informatisés pour qu’on puisse les mettre à jour de façon automatique et régulière et  s’assurer que la donnée disponible sur le site Web est pertinente, et surtout qu’elle ne dépende pas d’une unique personne pour la mise à jour. Par contre, selon le niveau de sensibilité, de criticité de la donnée, des coûts sont reliés à la gestion de la donnée. Donc, on ne peut pas se permettre de les avoir toutes sur des systèmes informatisés, même si c’est vers ça qu’on veut tendre pour la suite.

 

Après, il y a la question de la collecte. En termes de bordure de rue, un exemple qui revient souvent est celui des données de panneaux de signalisation. Quand on parle de bordure de rue, en général on parle énormément de signalisation, de stationnement, de la manière d’utiliser l’espace, de la réglementation. Et une des problématiques ou sensibilités qu’on a avec les données actuellement, c’est que les systèmes qui existent à la Ville n’étaient pas initialement faits pour interpréter les données, mais pour donner des mandats de travaux publics, des commandes comme « Je veux remplacer un poteau ». Ces systèmes datent d’un certain temps mais sont très fonctionnels. Il n’y a pas nécessairement de raisons de les remplacer parce qu’ils remplissent encore la mission pour laquelle ils ont été faits. Mais on a de nouveaux besoins en termes de données, on aimerait les utiliser pour interpréter ce qui est écrit sur le panneau. Or, le système n’a pas été conçu pour enregistrer cette information-là. Ce n’était même pas pertinent il y a 10-20 ans, quand le système a été créé.

 

C’est la beauté de la chose avec les données; on est en mesure d’en faire d’autres utilisations, mais ça crée certaines limitations, comme dans ce cas-ci. Par ailleurs, tous les arrondissements n’utilisaient pas le système non plus ; certains avaient d’autres façons de gérer. Ça crée des inégalités aussi sur le territoire, puisqu’il y a des données qui sont plus facilement accessibles que d’autres. 

 

Comprendre la bordure de rue depuis le détail

 

Équipe Fabmob: Est-ce qu’il y a des données qui seraient vraiment cruciales ou prioritaires à collecter pour la Ville?

 

Philippe: La réponse va toujours être oui, on a toujours un certain besoin d’avoir plus de données. Je pense que les données cruciales sont toutes celles qui permettent de comprendre comment la bordure de rue est utilisée, pas à un niveau macro, mais à un niveau plus petit. Par exemple, il est intéressant de savoir de quelle façon un espace est utilisé entre 8h et 9h le lundi afin de voir s’il est possible de le réutiliser d’une autre façon. Il est également intéressant d’évaluer les impacts une fois qu’on va avoir testé quelque chose. Par exemple, si, sur un tronçon de rue, on décide de mettre une terrasse, un camion de bouffe de rue, peu importe, collecter des données permet de savoir si ça a eu l’impact souhaité, si ça a amélioré effectivement la qualité de vie des citoyens. On sait exactement ou presque le type de données dont on a besoin. La vraie question est de savoir comment les collecter de façon continue.

 

Il y a aussi l’aspect de la protection de la vie privée. Quand on parle de données ouvertes, si on collecte une donnée très sensible, il faut quand même se poser des questions après pour la rendre disponible publiquement. Pour qu’elle ait un impact aussi, pour qu’elle puisse être utilisée par nos partenaires, il faut quand même s’assurer qu’elle respecte la Charte des données numériques.

Utilisateurs de toutes sortes

 

Équipe Fabmob: Qui sont les utilisateurs privilégiés de ces données? Les citoyens, les autres partenaires? Recevez-vous des types de demandes particulières en termes d’accès aux données, des questions par rapport aux données? 

 

Philippe: L’une des grandes difficultés qu’on rencontre est justement de connaître qui sont les utilisateurs de nos données. Notre politique de données ouvertes est très très large. N’importe qui peut utiliser nos données ouvertes, et la seule chose qu’ils ont à faire est de citer la Ville de Montréal comme la source de ces données-là. Ce n’est pas qu’on a des attentes démesurées, mais on aime quand même être en mesure de savoir si on a un impact, et, surtout, d’adapter notre offre de services et les données qu’on rend disponibles. Ceci dit, la mobilité est l’un des domaines où on a le plus de retours et le plus de demandes,donc c’est quand même un peu plus facile d’avoir un portrait.

 

Dans les grands utilisateurs, il y a des universités: des chaires de recherche à l’UQAM, à la Polytechnique, à Concordia même, se penchent sur des questions de mobilité. On a des organismes à but non lucratif qui réutilisent ces données-là, soit en termes de mobilité ou même d’espace bâti pour répondre à la clientèle locale, pour savoir ce qu’il y a en termes d’offres de services. Après, il y a toutes les applications de transport qui facilitent l’accès à différents services. Transit, par exemple, qui est une fierté montréalaise, se base en grande partie sur les données ouvertes. Il y a aussi les entreprises privées, comme la compagnie montréalaise Local Logic, tous les indices de potentiel piétonnier ou autre qu’on rencontre par exemple sur Centris, qui se basent sur les données ouvertes. 

 

Et évidemment, il y a certaines données, via d’autres services, comme les cartes interactives, dont les citoyen.ne.s  sont les utilisateurs finaux si on veut. Puis il y a les journalistes : énormément d’articles sont sortis en termes de mobilité, sur le REV dans les dernières années, mais aussi sur les comptages, sur les parcs, donc les achalandages. Et il ne faut pas oublier non plus qu’en termes de transparence, les données ouvertes sont très importantes. Et comme la mobilité est très sensible et très présente à l’intérieur de la vie des gens, ça a un gros impact.

 

La bordure de rue comme un tout

 

Équipe Fabmob: Pour conclure, quelle vision avez-vous, à la Ville, de la bordure de rue dans un horizon de 5 ou 10 ans? 

 

Philippe: De plus en plus, on arrête de parler de la voie, de la circulation, de l’espace de stationnement, pour vraiment regarder la bordure comme un tout. Déterminer quel est l’espace public disponible autour de la bordure de rue et voir quel usage peut en être fait. Tout est en interaction, on veut essayer d’avoir une vue d’ensemble sur tous ces éléments-là et de voir comment ils interagissent, plutôt que de voir chacun des éléments séparés. 

 

Le but est vraiment de regarder quelle est la meilleure utilisation qui peut être faite en bordure de rue, en fonction du contexte, de la rue, de l’espace. L’utilisation de la bordure au centre-ville ne sera pas la même que dans une rue locale, une rue commerciale ou une rue industrielle. Ça ne veut pas dire qu’on va changer du jour au lendemain, ça veut dire qu’on reste à l’affût des besoins de la population et que l’offre de services dans l’espace public correspond aux besoins qui, eux, continuent d’évoluer dans le temps. Il y a aussi le plan stratégique de la Ville qui mentionne quand même toute la volonté de réduire nos émissions de GES. Ça fait aussi partie des points stratégiques de l’utilisation de l’espace pour transformer la ville, pour qu’elle soit un peu plus verte. 

 

Vers une vue d’ensemble

 

Les données nous permettent d’avoir une perspective plus large de la forme et de la fréquence de l’utilisation que nous faisons de l’espace public en tant que citoyens. Soutenus par l’expérimentation, nous pourrons trouver des points de profit rapide pour exploiter tout le potentiel de la bordure de rue.

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